Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.
Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1574.
Il me semble que ce qui est requis est un sain équilibre entre deux tendances: celle qui nous pousse à scruter de manière inlassablement sceptique toutes les hypothèses qui nous sont soumises et celle qui nous invite à garder une grande ouverture aux idées nouvelles. Si vous n’êtes que sceptique, aucune idée nouvelle ne parvient jusqu’à vous; vous n’apprenez jamais quoi que ce soit de nouveau; vous devenez une détestable personne convaincue que la sottise règne sur le monde — et, bien entendu, bien des faits sont là pour vous donner raison.
D’un autre côté, si vous êtes ouvert jusqu’à la crédulité et n’avez pas même une once de scepticisme en vous, alors vous n’êtes même plus capable de distinguer entre les idées utiles et celles qui n’ont aucun intérêt. Si toutes les idées ont la même validité, vous êtes perdu: car alors, aucune idée n’a plus de valeur.
Carl Sagan
À présent domine en France une forme abâtardie de la pensée de Nietzche (il en aurait d’ailleurs été le premier horrifié) qui invite continuellement le lecteur à remplacer la question « Que dit-il ? » par « Qui parle ? » (Certains sites web se sont même spécialisés – sous le masque de « l’antifascisme » – dans cet exercice purement policier). À tel point qu’on peut se demander combien de critiques professionnels seraient encore capables, de nos jours, de juger la valeur philosophique ou littéraire d’un texte anonyme – autrement dit d’un texte dont il leur serait impossible, par définition, de prétendre connaitre à l’avance les sombres arrière-pensées.
Jean-Claude Michéa, La gauche et le peuple, 2014
Devenant familier, un dogme devient automatiquement juste. Pour la plupart des gens, rien de ce qui est contraire à tout système d’idées dont ils ont été nourris depuis leur enfance ne saurait être raisonnable. Les idées nouvelles sont raisonnables si on peut les faire entrer dans un cadre déjà familier, déraisonnables si l’on ne peut les y adapter. Nos préjugés intellectuels déterminent les courants suivant lesquels coulera notre raison.
Aldous Huxley Le plus sot animal, 1945
La culture, ce n’est pas d’avoir un cerveau farci de dates ou de chiffres, c’est la qualité du jugement, l’exigence logique, l’appétit de la preuve, la notion de la complexité des choses et de l’arduité des problèmes; c’est l’habitude du doute, le discernement dans la méfiance, la certitude qu’on n’a jamais tout le vrai en partage, c’est refuser tous les fanatismes et jusqu’à ceux qui s’autorisent de la raison.