Dis-moi ce que tu likes sur Facebook, et je te dirai quelle est ta personnalité, et quelle pub t’adresser pour te faire consommer… ou voter.
Mars 2018 : l’affaire « Cambridge Analytica » fait la Une des médias. Cette entreprise britannique de conseil en communication, qui a vendu ses services à diverses entreprises privées et clients politiques (dont un certain Donald Trump), est accusée d’avoir utilisé des données de millions d’utilisateurs de Facebook sans leur consentement. Le savoir-faire vanté par Cambridge Analytica : être en mesure d’établir le profil psychologique d’un individu à partir de ses données sur Facebook (notamment ses « likes ») pour ensuite lui adresser des messages publicitaires d’autant plus efficaces qu’ils seront ciblés en fonction de sa personnalité. La promesse d’une révolution dans la manipulation de masse… Mais cette méthode a-t-elle prouvé son efficacité ?
Nos « likes » sur Facebook, révélateurs de notre personnalité ?
Pour mettre au point son outil « d’analyse psychographique », l’équipe de Cambridge Analytica s’est appuyée sur les travaux de Michal Kosinski, chercheur en psychologie à l’université de Cambridge. Il a par exemple fait passer, en ligne, des tests de personnalité et de logique à 58 000 utilisateurs américains de Facebook, pour voir s’il existe des corrélations avec les « likes » publiés par chaque participant (1).
À partir des « likes » (170 en moyenne) d’une personne, il est possible de déduire, dans 88 % des cas, si elle est homosexuelle ou hétérosexuelle, et, dans 85 % des cas, si elle penche pour les démocrates ou pour les républicains. Les résultats qui concernent les traits de personnalité sont moins probants.
Si l’on s’appuie sur le modèle des Big Five (qui décrit la personnalité selon cinq traits majeurs), deux traits de personnalité, l’ouverture et l’extraversion, paraissent plus facilement détectables que les trois autres à partir des « likes ».
Mon ordinateur me connaît-il mieux que mes amis ?
En 2015, une autre étude qui connaît un certain écho : les jugements de personnalité formulés par ordinateur sont plus justes que ceux émis par des humains (2).
Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont, premièrement, demandé à 86 220 utilisateurs de Facebook de passer un test de personnalité. Deuxièmement, ils ont utilisé un modèle informatisé analysant les « likes » de chaque participant pour établir son profil de personnalité. Troisièmement, ils ont demandé aux proches des participants (amis, conjoint, membres de la famille, collègues de travail) de décrire la personnalité de chaque participant en remplissant un questionnaire. Ces trois types d’évaluation de la personnalité ont été comparés. Résultat : il suffit de 100 « likes » pour que leur analyse informatisée donne une évaluation de personnalité plus juste que celle faite par les membres de l’entourage (à partir de 10 « likes », le modèle surpasse les collègues, à partir de 150 « likes », les membres de la famille et 300 « likes », le conjoint). Ces résultats suggèrent qu’un modèle informatique pourrait être plus fiable qu’un humain pour « cerner » un individu… Il faut dire qu’en matière d’évaluation de la personnalité, l’ordinateur bénéficie de quelques atouts, notamment sa capacité à stocker une quantité colossale d’informations (alors que l’humain est sujet aux caprices de la mémoire), et son imperméabilité aux biais cognitifs et émotionnels. Précisons que dans cette étude, les membres de l’entourage ont évalué la personnalité des participants en complétant un questionnaire de 10 items, ce qui semble bien insuffisant pour traduire toute la finesse et la complexité dont peut faire preuve l’être humain dans sa perception et sa description de la personnalité d’un individu.
Cibler et influencer
En 2017, on retrouve Michal Kosinski parmi les auteurs d’un nouvel article (3) : par le biais d’une application nommée « myPersonnality », créée en 2007 par David Stillwell, collègue de Kosinski, les chercheurs ont pu faire passer des tests de personnalité à des millions d’utilisateurs de Facebook, ce qui a permis d’affiner leur modèle d’analyse. Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont d’abord déterminé si des utilisateurs de Facebook (plus de 3 millions) étaient plutôt introvertis ou extravertis. Ils ont ensuite créé deux messages publicitaires pour un produit de beauté. Le premier a été conçu pour influencer les introvertis (avec un slogan qui soulignait que la beauté n’a pas à être ostentatoire), alors que le deuxième ciblait les extravertis (en incitant à « danser comme si personne ne regardait »). Résultat de l’expérience : une personne est plus susceptible de cliquer sur une pub et d’effectuer un achat si le message est adapté à son degré d’extraversion (introverti ou extraverti). L’expérience a été concluante également pour le trait de personnalité « ouverture à l’expérience ».
Ces trois études ne sont pas les seules sur le sujet, mais comptent parmi les plus significatives. Elles nous donnent une idée de l’état actuel des connaissances sur la possibilité d’influencer de manière personnalisée un individu à partir de son empreinte numérique. Pour l’heure, la « segmentation psychographique » n’en est qu’à ses prémices et laisse encore sceptiques certains spécialistes. Ces évolutions nous incitent néanmoins, en tant qu’utilisateurs d’internet, à rester vigilants concernant les informations que nous laissons échapper sur la toile, celles-ci constituant une matière première de choix pour nous influencer.
Je « like », donc je suis (démasqué)
Les mentions « j’aime » que vous affichez sur Facebook pourraient être plus révélatrices que vous ne le pensez. Le Seigneur des Anneaux et les orages semblent des indices d’un haut niveau d’intelligence, alors que les « j’aime » qui concernent Sephora et Harley Davidson sont présents de manière plus significative chez les participants qui ont obtenu un score faible au test d’intelligence dispensé dans le cadre de l’étude. Les personnes qui déclarent aimer la natation et Indiana Jones ont tendance à être satisfaites de leur vie, alors que chez les insatisfaits, on plébiscitera plus volontiers la science et Gorillaz.
NOTES
- Kosinski M et al., « Private traits and attributes are predictable from digital records of human behavior », PNAS, 2013, 110 (15).
- Youyou W et al., « Computer-based personality judgments are more accurate than those made by humans », PNAS, 2015, 112 (4).
- Matz SC et al., « Psychological targeting as an effective approach to digital mass persuasion », PNAS, 2017, 114 (48).